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Avis conjoint de renseignement financier : Acquisition illégale de marchandises à double usage par des utilisateurs russes

Introduction

Dans la foulée de l'invasion injustifiée de l'Ukraine par la Fédération de Russie (Russie), les unités du renseignement financierNote de bas de page1 des Pays-Bas (FIU-NL) et du Canada (CANAFE) ont reçu des rapports de diverses sources qui faisaient état de cas soupçonnés d'exportation illégale, ou de tentative d'exportation, de marchandises à double usage destinées à des utilisateurs russes au mépris des sanctions actuelles ou des lois sur le contrôle des exportations. Parallèlement, des entités déclarantes de nos pays respectifs ont demandé des orientations additionnelles concernant, d'une part, la déclaration d'opérations douteuses ou, dans le cas des Pays-Bas, d'opérations inhabituelles, se rapportant à cette activité et, d'autre part, les évaluations des risques liés aux clients.

Une évaluation menée par nos unités du renseignement financier respectives a révélé que non seulement nos pays sont confrontés à des défis similaires, mais aussi que les personnes et les entités qui se livrent à des activités visant à contourner les sanctions et les mesures de contrôle des exportations emploient des tactiques similaires. Ainsi, le présent avis conjoint a été élaboré par les unités du renseignement financier susmentionnées en consultation avec l'unités du renseignement financier des États-Unis (le Financial Crimes Enforcement Network [FinCEN] du département du Trésor des États-Unis)Note de bas de page2.

Objet

Cet avis a pour objet d'aider les entités déclarantes à reconnaître, d'une part, les opérations financières et d'autres activités connexes soupçonnées d'être liées à l'achat de marchandises à double usage destinées à être exportées illégalement et, d'autre part, les activités de blanchiment des produits de la criminalité générés par cette activité, et il comprend ce qui suit :

Cet avis vient renforcer les initiatives et engagements multilatéraux en vigueurNote de bas de page3 entre nos pays respectifs qui visent à contraindre la Fédération de Russie et à l'empêcher d'obtenir les technologies et marchandises dont elle a besoin pour ravitailler sa base industrielle militaire et de défense.

Comment cerner les cas de contournement des sanctions ou des mesures de contrôle des exportations en ce qui concerne les marchandises à double usage

Lorsqu'il s'agit d'établir si un client tente de contourner des sanctions ou des mesures de contrôle des exportations en ce qui concerne les marchandises à double usage, il peut être utile d'examiner les produits visés, les acteurs prenant part aux opérations et les comportements financiers.

Détermination des produits pertinents

Les lignes directrices publiées le 26 septembre 2023 (en anglais seulement) par le « Export Enforcement Five » (Groupe des cinq sur l'exécution de la loi en matière d'exportation) ou le « E5 » (collectivement, l'Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni) font état d'une liste de marchandises contrôlées comportant 45 codes du système harmoniséNote de bas de page 4 qu'utilise la Fédération de Russie dans ses systèmes d'armes et que les pays du E5, ainsi que leurs partenaires internationaux, dont l'Union européenne, ont désignées comme prioritaires.

Ces marchandises ont été réparties en quatre catégories, les deux premières contenant des marchandises qui sont particulièrement sensibles :

Les marchandises de la catégorie 1 et les descriptions et éléments représentatifs pour le système harmonisé sont présentés dans le tableau ci-dessous.

Description du système harmonisé et élément représentatif
Code du système harmonisé Système harmonisé – Description et élément représentatif
8542.31 Circuits intégrés électroniques : Processeurs et contrôleurs, comme les microcontrôleurs
8542.32 Circuits intégrés électroniques : Mémoires, comme la mémoire vive statique (SRAM)
8542.33 Circuits intégrés électroniques : Amplificateurs, comme les amplificateurs opérationnels
8542.39 Circuits intégrés électroniques : Autre, comme les matrices prédiffusées programmables par l'utilisateur (FPGA)

En ce qui a trait particulièrement à l'Union européenne, l'annexe I du Règlement (Union européenne) 2021/821 et l'annexe VII du Règlement (Union européenne) 833/2014 contiennent des listes générales et spécifiques de marchandises et de biens à double usage visés par les sanctions qui nécessitent l'obtention d'un permis spécial et qui doivent répondre à divers critères avant de pouvoir être exportés vers la RussieNote de bas de page5.

Au Canada, le 24 février 2022, Affaires mondiales Canada a mis un terme à la délivrance de nouveaux permis en vertu de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation relativement à l'exportation et au courtage de marchandises et de technologies militaires stratégiques contrôlées à double usage, qui sont destinées à la Russie. Les exportateurs qui détenaient un permis valide d'exportation ou de courtage de marchandises destinées à la Russie avant cette date ont vu leur permis annulé. Seuls les permis et demandes se rapportant à des usages finaux spécifiques, comme des fins médicales ou humanitaires, peuvent faire l'objet d'une exception et sont examinés au cas par cas. Outre son architecture générale de contrôle des exportations, le Canada a imposé des restrictions à l'exportation en infligeant des sanctions à la Russie. En vertu du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie du Canada, il est interdit à toute personne au Canada et à tout Canadien à l'étranger d'exporter, de vendre, de fournir ou d'envoyer toute marchandise, où qu'elle se trouve, et toute technologie lorsqu'elle est destinée à la Russie ou à toute personne qui s'y trouve, si elle figure sur la Liste des marchandises et technologies réglementées. Qui plus est, le Canada a imposé des sanctions sur de nombreuses marchandises destinées à être exportées vers la Russie ou importées de Russie; ces marchandises prohibées sont énumérées dans diverses annexes du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie. Soulignons que l'exportation vers la Russie des marchandises désignées comme prioritaires appartenant à la catégorie 1 qui sont mentionnées ci-dessus est interdite en vertu de l'annexe 7 du même règlement.

Le FinCEN et le Bureau of Industry and Security du département du Commerce des États-Unis ont émis deux alertes, en juin 2022 et en mai 2023, au sujet des restrictions en matière de contrôle des exportations du Bureau of Industry and Security à l'égard de la Russie, ainsi que des typologies de contournement et des efforts déployés par des personnes et entités désireuses de contourner les mesures de contrôle des exportations du Bureau of Industry and Security qui ont été mises en œuvre en lien avec la poursuite de l'invasion de l'Ukraine par la RussieNote de bas de page6.

Lorsqu'il s'agit d'évaluer les risques liés aux clients, il est possible d'identifier les marchandises réglementées à double usage au moyen de leur code du système harmonisé et des descriptions de produits.

Pour vous assurer que vos évaluations des risques liés aux clients demeurent à jour, il est important de rester au fait des nouvelles sanctions ou des restrictions à l'exportation en vigueur dans votre juridiction. Au cours d'une telle évaluation, il peut être utile de prendre les mesures suivantes :

Identification des acteurs

En plus des marchandises à double usage, il peut être utile de se concentrer sur un groupe d'acteurs en particulier pour cerner des canaux d'approvisionnement en marchandises à double usage. Parmi ces acteurs, mentionnons les personnes ou entreprises qui sont qualifiées d'utilisateurs militaires russes, qui sont connues pour avoir participé à l'approvisionnement en biens à double usage pour le compte de la Fédération de Russie ou dont on prévoit qu'elles s'adonneront à de telles activités d'approvisionnement. Dans le cadre de ce processus de détection axé sur les acteurs, vous pourriez prendre les mesures suivantes :

Tandis que vous évaluez les risques liés aux clients, gardez en tête les points suivants :

Indicateurs contextuels

Dans les cas antérieurs de contournement de sanctions liées aux marchandises à double usage ou d'infraction criminelle liée aux exportations, un ou plusieurs des indicateurs suivants ont été constatés :

Indicateurs liés à la personne ou à l'entité :

Indicateurs financiers

Une autre façon de cerner les cas de contournement de sanctions liées aux marchandises à double usage ou de mesures de contrôle des exportations consiste à se concentrer sur les comportements financiers de vos clients :

Indicateurs financiers et tendances opérationnelles :

Comment utiliser le présent avis

Indicateurs

Les indicateurs présentés dans cet avis reflètent des types et des profils de facteurs contextuels et financiers qui peuvent éveiller des soupçons, d'une part, d'exportation illégale ou de tentative d'exportation de marchandises à double usage à destination d'utilisateurs russes au mépris des sanctions en vigueur et, d'autre part, de blanchiment de fonds potentiellement liés à cette activité criminelle constituant une menace. Ces indicateurs ne devraient pas être traités séparément, car pris isolément, ils ne constituent pas nécessairement un signe de blanchiment d'argent, de financement du terrorisme ou d'une autre activité douteuse. Les entités déclarantes devraient donc les évaluer en combinaison avec les renseignements dont elles disposent sur le client et avec d'autres facteurs se rapportant aux opérations afin de déterminer s'il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'une opération ou une tentative d'opération est liée à la perpétration ou à la tentative de perpétration d'une infraction criminelle ou, dans le cas du Canada, particulièrement, d'une infraction de blanchiment d'argent ou de financement du terrorisme. Plusieurs indicateurs peuvent révéler des liens inconnus qui, pris ensemble, pourraient donner lieu à des motifs raisonnables de soupçon. C'est donc le regroupement de différents facteurs qui peut corroborer la détermination de soupçons. Ces indicateurs visent à aider les entités déclarantes dans leur analyse et leur évaluation des opérations financières douteuses.

Au Canada, toute entité déclarante assujettie à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes doit soumettre une déclaration d'opérations douteuses au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) lorsqu'il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu'une opération financière ou une tentative d'opération financière est liée à la perpétration ou à une tentative de perpétration d'une infraction de blanchiment d'argent ou de financement d'activités terroristes. Il est possible qu'une exportation de marchandises à double usage vers des utilisateurs russes constitue, dans certaines circonstances, une violation de la Loi sur les licences d'exportation et d'importation et, de ce fait, génère des produits qui pourraient ensuite faire l'objet d'un blanchiment d'argent ou d'une tentative de blanchiment d'argent, ce qui donnerait naissance aux obligations relatives aux déclarations d'opérations douteuses. Les activités décrites dans le présent avis peuvent donner lieu à d'autres infractions prévues par le Code criminel canadien, par exemple des infractions liées à la fraude, susceptibles de générer des produits d'origine criminelle.

Évaluation des risques liés aux clients

Les entités déclarantes devraient également se rappeler que plusieurs, voire la totalité, des indicateurs financiers et contextuels énumérés peuvent être utilisés dans le cadre de l'évaluation, prévue dans leur programme de conformité, des risques liés aux clients, nouveaux et actuels. Par exemple, les indicateurs peuvent les aider à déterminer s'il y a lieu d'accepter ou de refuser un nouveau client, ou bien de maintenir ou de rompre une relation avec l'un de leurs clients actuels. La compréhension et l'application de ces indicateurs peuvent contribuer à réduire l'exploitation des activités d'une entité déclarante à des fins de blanchiment d'argent et de financement d'activités terroristes. Les facteurs de risque liés à la relation avec la clientèle évoluent au fil du temps et sont répartis dans les catégories suivantes :

Coordonnées

Si vous avez des questions ou des commentaires au sujet du présent avis, veuillez vous adresser à l'unité du renseignement financier de votre pays.

Canada

Courriel : guidelines-lignesdirectrices@fintrac-canafe.gc.ca
Téléphone : 1-866-346-8722 (sans frais)
Télécopieur : 613-943-7931
Par la poste : CANAFE, 234, avenue Laurier Ouest, 24e étage, Ottawa (Ontario)  K1P 1H7

Ressources additionnelles

Canada

Pays-Bas/Union européenne

États-Unis

Annexe 1 – Exemples de cas

Pays-Bas

Entité faisant l'objet de sanctions au sein d'un grand conglomérat

La figure 1 montre une tentative possible de contournement des sanctions au cours de laquelle la facture pour la livraison des marchandises a été antidatée à un moment antérieur à l'imposition des sanctions sur les marchandises en question. Plusieurs mois après le début de l'invasion russe, une société basée dans l'Union européenne (organisation 1) a reçu des fonds d'une société basée en Russie (utilisateur final). Peu après la réception des fonds, ces derniers ont été acheminés à une autre société (organisation 2) du même bénéficiaire ultime. Cette société avait acheté en Corée du Sud (le producteur) des marchandises à double usage visées par des sanctions, qui devaient être livrées directement à l'utilisateur final en Russie.

Figure 1 : Une entité faisant l'objet de sanctions au sein d'un grand conglomérat
Diagramme de flux montrant une tentative possible de contournement de sanctions par un conglomérat recevant des fonds d'une société basée en Russie.

Indicateurs

États-Unis

Ressortissant grec accusé d'avoir acquis des technologies américaines sensibles à double usage pour les forces armées russes par l'intermédiaire de sociétés de défense et de technologie basées aux Pays-Bas

Le 16 mai 2023, le département de la Justice des États-Unis a levé les scellés sur l'acte d'accusation visant un ressortissant grec en lien avec des crimes fédéraux. L'accusé aurait acquis plus de dix types différents de technologies sensibles pour le compte du gouvernement russe et aurait agi comme agent d'approvisionnement pour deux ressortissants russes spécialement désignés travaillant pour le compte des services de renseignements de la Russie.

Comme il est allégué dans l'acte d'accusation, le défendeur, le Dr Nikolaos « Nikos » Bogonikolos, était à la tête du groupe Aratos (Aratos), un regroupement de sociétés de défense et de technologie situées aux Pays-Bas et en Grèce, soit deux pays membres de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord). Selon le site Web d'Aratos, les domaines d'expertise des sociétés comprennent les technologies spatiales, la sécurité intérieure, les chaînes de blocs et les systèmes anti-drones.

Toutefois, comme il est allégué dans l'acte d'accusation, depuis 2017, le défendeur se livre à la contrebande de technologies militaires à double usage d'origine américaine vers la Russie, en contravention avec la loi américaine. Parmi ces composants très sensibles et réglementés se trouvaient des produits électroniques de pointe et de l'équipement d'essai complexe destinés à des applications militaires, dont la cryptographie quantique et la mise à l'essai d'armes nucléaires, ainsi que de l'équipement de combat tactique. Le défendeur prétendait que ces biens étaient destinés à être utilisés par Aratos alors que, dans les faits, ils étaient réexpédiés vers la Russie en contravention avec la loi américaine. Au rang des utilisateurs russes figuraient des établissements de recherche nucléaire et quantique, de même que l'unité militaire 33949, qui fait partie du service des renseignements étrangers russe, dénommé « SVR ».

Comme le décrit l'acte d'accusation, bon nombre des commandes provenaient de Serniya Engineering et de Sertal LLC (le réseau Serniya), des sociétés de Moscou qui agissent sous la direction des services de renseignement russes. À la suite de l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, l'Office of Foreign Assets Control du département du Trésor des États-Unis et le Bureau of Industry and Security du département du Commerce des États-Unis ont imposé des sanctions contre Serniya, Sertal et plusieurs personnes et sociétés utilisées dans le cadre de ce stratagème, les désignant comme des « parties intégrantes de la machine de guerre de la Russie ».

Comme il est allégué dans l'acte d'accusation, le défendeur aurait été recruté en tant qu'agent d'approvisionnement pour la Russie en 2017. Dans un message courriel d'une société affiliée à Serniya, le 27 décembre 2017, le défendeur a été prié de se rendre seul à Moscou « puisque l'ordre du jour sera très sensible ». Concernant une commande subséquente, le défendeur a fait savoir qu'il falsifierait une licence d'exportation, mentionnant ceci : « J'indique que les articles sont uniquement destinés aux Pays-Bas;) […] Dossier sensible […] Pour la même raison, je ne peux pas faire pression sur le fournisseur [américain] ». En outre, le défendeur a signé plusieurs fausses déclarations d'utilisation finale et les a fournies à des entreprises américaines, attestant qu'Aratos serait l'utilisateur final des articles demandés, qu'Aratos ne réexporterait pas les marchandises ailleurs et que les marchandises ne serviraient pas au développement d'armesNote de bas de page7.

Canada

Exportation de marchandises à double usage contrôlées

En 2017, CANAFE a reçu des renseignements transmis volontairement de la part d'organismes canadiens d'application de la loi qui mentionnaient qu'une entreprise canadienne d'électronique était soupçonnée d'être impliquée dans l'expédition de circuits intégrés contrôlés à double usage.

Les déclarations d'opérations douteuses indiquaient que les opérations de l'entreprise présentaient certaines des principales caractéristiques des stratagèmes de blanchiment d'argent russes et est-européensNote de bas de page8. Selon l'une des déclarations d'opérations douteuses :

Selon une déclaration d'opérations douteuses, l'entreprise a reçu des transferts électroniques de fonds de pays jouant possiblement le rôle d'intermédiaire en vue du transbordement de marchandises à double usage ou d'autres activités financières illicites (y compris Chypre, l'Estonie, la Lettonie, le Liechtenstein et la Suisse). Dans certains cas, le pays d'origine ne concordait pas avec l'adresse indiquée pour les entités chargées de demander les transferts électroniques de fonds. De plus, l'entreprise a été la bénéficiaire de transferts électroniques de fonds demandés par des personnes et des entités dont les adresses étaient en Russie.

Une déclaration d'opérations douteuses mentionnait que les fonds de l'entreprise ont été épuisés par une multitude de chèques sortants destinés aux actionnaires et par des transferts électroniques de fonds sortants destinés à une entreprise en ligne de traitement de paiements.

Concernant l'incidence qu'ont eue les renseignements communiqués par CANAFE au sujet de l'entreprise, des organismes canadiens d'application de la loi ont fait savoir que ceux-ci ont entraîné l'ouverture d'une nouvelle enquête et leurs ont révélé des sujets qui leur étaient jusqu'alors inconnus. Ils ont précisé que les renseignements et la collaboration de CANAFE ont joué un rôle de premier plan dans leur compréhension des réseaux impliqués et dans la réussite globale de leurs efforts d'application de la loi. Ils ont ajouté que les renseignements fournis par CANAFE ont contribué à des demandes d'inculpations formelles dans un pays partenaire.

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